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Les vieux, les malades et l'hôpital : chronique d'une mort annoncée

04/11/2010

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Nous ne sommes pas dans « Soleil vert » revisité par Tarantino ou Oliver Stone. Nous sommes en France en 2010 où après avoir inventé les droits de l’homme, nous procédons avec méthode et bonne conscience à l’élimination de personnes âgées, dépendantes et malades.

Infirmières, médecins, administratifs, politiques, chacun au poste où il est, sait de quoi je parle et de quoi il s’agit. De ces « camisoles chimiques » que dans un consensus général personne ne dénonce. Les problèmes économiques, le manque d’effectifs et les formations inadaptées sont les raisons derrière lesquelles se camoufle et s’accomplit ce scandale humain.

« Les vieux ne parlent pas ou alors du bout des yeux » chantait Brel, alors quand ils sont malades, démunis et sans famille responsable, la canicule de 2OO3 a mis en évidence les carences affectives dont ils souffrent, ils arrivent à l’hôpital pour des petits ou gros bobos, parfois pour presque rien : peur d’un manque de souffle, d’un rhume qui traîne, par peur d’être seul surtout…

Mais les hôpitaux ne sont pas des garderies pour anciens, alors une fois le problème médical traité s’il y a lieu, on ne s’occupe plus de savoir s’ils ont pris leur repas, s’ils sont sortis de leur lit, s’ils ont eu ou pas des visites. Les vieux malades deviennent à ce moment-là des personnes gênantes que les structures hospitalières ne veulent ou ne peuvent pas garder, bien que leur santé et leur autonomie se soient particulièrement dégradées pendant leur hospitalisation. Ils ont perdu leurs muscles, mais aussi leur force de vie. Cette force de vie qui leur avait fait choisir l’hôpital pour être secouru.

Pour le personnel soignant, la dégradation rapide des vieilles personnes en centre hospitalier est une chose normale et sa seule préoccupation est : comment récupérer des lits et donc comment s’en débarrasser. Les moyens séjours et les maisons de convalescence prennent alors le relais et c’est dans ces lieux aux noms évocateurs de santé retrouvée qu’elles finissent grabataires et incontinentes, paralysées par le biais de molécules chimiques qui leur sont données sans que personne ne s'y oppose, chacun se camouflant derrière le système.

Un scandale dont personne ne parle, que même la canicule de 2003 n’a pas dévoilé tant les tabous et les diktats administratifs sont importants dans ce secteur. Impossible dîtes-vous ? Hélas, c’est réel. Je suis allée voir et enquêter, pour une vieille dame que j’ai connue et qui est morte étrangement dans ce genre d’établissement, après avoir été malade d’une infection contractée à l’hôpital de Beauvais, ce que l’hôpital a reconnu.

Elle y était arrivée mobile et pleine de projets, mais lorsque je suis allée la voir une semaine après son entrée, elle était attachée dans une sorte de fauteuil à roulettes, la tête sur la poitrine et les bras pendants, le nez qui coulait, inerte. On lui avait fait deux espèces de couettes ridicules avec des élastiques bariolés, on lui avait mis des couches…

Je ne veux pas vous atteindre avec des mélodrames, mais là vraiment, j’ai eu honte et de la peine et de la souffrance pour elle et les autres que je suis allée voir dans les autres chambres ou petits dortoirs, et le mot reste à inventer pour ce que j'ai découvert. Toutes ces vieilles personnes couchées ou attachées dans des fauteuils fut une vision de cauchemar. Les chambres étaient en mauvais état, sans sanitaires, avec des murs qui s’effritaient, avec de ces rideaux en plastique blanc qu’on tire à la main pour donner un semblant d’intimité là où se tient le lavabo ébréché « d'Hôtel du Nord ».

Des travaux sont prévus, m’a-t-on dit…

Mais devant ce spectacle, encore plus que la honte est montée la colère et je l’ai balancée en vrac sur cette pauvre infirmière qui faisait ce que l’unique docteur de l’établissement lui disait de faire.

« Surtout ne dîtes pas que je vous ai parlé », a quémandé l’infirmière, soucieuse de ne pas perdre son emploi, avant de m'expliquer : « On les met sous sédation pour qu’elles n’aillent pas se promener dans les couloirs et puis comme elles ne contrôlent plus leurs muscles à cause de la sédation, elles deviennent incontinentes, on leur met alors des couches et on les attache pour qu'elles ne tombent pas, ensuite elles ne se souviennent plus de rien et le médecin inscrit alors sur leurs dossiers : problèmes spatiaux temporels, obligation de traitements »

En très peu de mois, soumises quotidiennement à cette camisole chimique, muscles et cerveau en manque d’oxygénation, paralysés par les médicaments, elles meurent dans l’indifférence générale. Mais qui en a à faire de ces anciens qui nous ont donné la vie ? Qui se sont brisés au travail pour nous ? Qui font que nos bébés ont des yeux d’une autre couleur que la nôtre, la leur justement et que de gènes en générations, ils nous transmettent ?

D’autant que pour les retraites c’est une solution, ont bien dû imaginer certains… ?

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