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Pour l'amour, l'amour essentiellement, pour la vie en somme...

14/01/2010

Haïti pleure ses morts tandis que nos journaux donnent à voir la photographie du corps blanc de poussière d’une femme insérée dans les décombres…

Mais les bouleversements d’un monde en transhumance font partie de la vie sur une terre pas si nourricière que ça, alors que faire et vers qui ou quoi se tourner ? Comment changer le cours de choses inhérentes soit à l’évolution des particules, soit à la main de Dieux courroucés ?

J’ai envie de répondre, vers l’art.

 

L’art dans ce qu’il a de plus primitif, source de réparation et de beauté.

L’art qui porte en lui le plaisir et l’extase, mais aussi des êtres si ravagés de douleur, que seule la toile ou la feuille blanche peut les accueillir, leur permettre, dans un affrontement originel, ainsi que les enfants qui s’arrachent du ventre des femmes, de toucher à l’harmonie.

Et tout ça pourquoi ?

Pour l’amour, l’amour essentiellement, pour la vie en somme…

J'ai donc décidé d’écrire « In Vivo » pour ceux qui veulent et qui n’osent pas, qui approchent les joies de la création et rarement les douleurs, le travail, la solitude, l’égarement et les doutes de ce qui préside au tableau, à l’œuvre, au livre...

Un tout petit extrait donc tiré du livre, mais qui je l’espère montrera quelque chose de ce que signifie pour beaucoup d’entre-nous « écrire ».

Extrait :

«… Laura considéra le thermomètre posé à l’ombre du tilleul qui lui permettait d’envisager une journée telle qu’elle les aimait. Dépossédée de la moindre molécule d’eau. Où le plus basique des mouvements, bouger son bras, marcher, tourner la tête, devenait un mouvement de lutte contre l’inertie.

En dehors de celui des guêpes s’enfonçant dans les fruits par manque d’humidité plus aucun bruit maintenant jusqu’au déclin du soleil ne serait transporté jusqu’à la maison et Laura s’installa devant son ordinateur avec légèreté et l’euphorie probable des libérés sur parole. Plus prosaïquement de celle qui vient avec le premier verre de vin avalé, quand fort encore de toute notre pensée, la nuque est déjà un électron libre.

C’est avec attention qu’elle relut les premières pages affichées sur l’écran. Ni ratures ni griffonnages pour altérer la fluidité des mots et du rythme.

L’ordinateur effaçait, coupait, remplaçait tandis que les phrases s’affichaient, cohérentes et fluides hors du champ de la dispersion.

Elle avait eu du mal pourtant avec la technique. Elle avait résisté, revendiquant la main et le crayon, l’ivresse de l’écriture et le vertige lié à la rapidité du geste, unique outil contre la perte de l’idée entrevue.

Quel bonheur alors de lire les mots écrits, arrachés à la confusion du foisonnement. Ratures et griffonnages n’altéraient en rien la jouissance d’un combat gagné contre ses propres neurones.

Etait-ce la conscience de cette force particulière qui rendait les artistes tellement insupportables ?

Mégalomanes et narcissiques disait-on, peut-être, peut-être vraiment, mais leur acharnement “A la vie à la mort” pour décoder et transmettre une seule fraction d’un génome aux milliards de possibilités, transformait par sa démesure, un désir primitif en un acte de beauté pure.

Enfin c’était ainsi que Laura comprenait et voyait les choses. Elle éprouvait d’ailleurs une indulgence et un amour immédiat pour ceux qui gambadaient au-delà des codes et des conventions. Transgresser n’était pas pour elle une difficulté d’astreinte aux règles, mais l’affirmation d’une originalité, d’une liberté dans et hors des sillons tracés.

Laura se recentra sur l’écran de l’ordinateur.

Écrire était toujours une aventure extrême.

Écrire sans introspection sans y mettre un bout de soi ou soi tout entier était impossible.

En fait, l’aventure avec un grand A ne se trouvait pas aux confins de continents si déchirés soient-ils, l’aventure humaine se tenait au bout du stylo et du clavier des auteurs lorsque dans l’intimité de la page ils s’exhibaient, impudiques et douloureux de l’être, mais exaltés à l’idée d’un inconnu révélé qu’ils offriront aux autres pour l’unique perspective d’un pouce levé. Un seul, comme une récompense, une reconnaissance.

On pouvait les mettre en pièces, on pouvait les déchirer, les anéantir et les tuer, mais on pouvait les aimer aussi et l’idée de l’amour les remettait debout, prêts à recommencer.

Laura s’arrêta sur le titre de son nouveau roman " Et si… ? "

Finalement il s’était imposé.

Dans Laura les mots grandissaient, brouillons, désordonnés, mais en lignes déjà et en paragraphes, initiant un texte libéré de l’informe, balbutiement d’une histoire, un bout d’elle qu’elle formulerait un jour dans l’exaltation angoissée du défi, le plus grand des défis. Est-ce qu’on allait l’aimer ? Est-ce qu’on l’aimerait pour elle vraiment ? Pour son âme et pas sa bouche ?

Laura frotta ses yeux douloureux.

Dans la pénombre de la maison l’écran de l’ordinateur affichait le titre de son nouveau et futur roman "Et si ?”

Et si la folie existait ? Et si elle n’existait pas ?

C’était de ça dont elle voulait parler. Pour ça qu’elle traînait à se brûler les yeux.

" Des heures sur votre ordinateur, c’est trop d’heures " avait diagnostiqué l’ophtalmo, qui avait ajouté afin de lui faire peur " A moyen terme, il faudra vous opérer et vous aurez tout d’un lapin russe. "

Le moyen terme, c’était déjà trois ans.

Trois années passées à écrire et à se frotter les yeux. À avoir si mal que l’idée de la cécité lui faisait fermer brutalement son ordinateur comme si quelques secondes en plus ou en moins allait la faire mourir.

Le temps que ses yeux s’apaisent et que la douleur disparaisse, depuis trois ans et après chaque moment de travail, elle paniquait au point de s’installer dans le noir, repoussant le moment d’allumer les lampes ou d’ouvrir les volets, plus du tout assurée de recouvrer la vue avec la lumière, mais pas assez cependant pour l’inciter à restreindre son temps d’écriture.

La petitesse des journées qui la renvoyait au sommeil avant qu’elle n’ait eu la sensation d’avoir écrit ce qu’elle voulait écrire, lui faisait prendre conscience qu’elle n’aurait jamais assez de vie pour rédiger les livres qu’elle avait en tête. Plus précisément encore lui faisait prendre conscience de la dérision et la vanité de certains combats dans lesquels elle mettait au premier plan ceux de l’amour, sans parvenir toutefois à s’en détacher elle-même.

Ses yeux lui faisaient vraiment mal maintenant, mais elle n’avait pas envie d’éteindre l’ordinateur et d’abandonner le fil de son histoire.

Ainsi qu’à chaque fois qu’elle démarrait un texte, elle se demandait par quel bout commencer, comment bien commencer, quoi dire et comment le dire pour transmettre et partager au mieux.

Si l’amour ne sauvait pas le monde, l’art le pourrait peut-être ?

Assembler des mots en lignes et en pages, trois cents pages au moins. Des heures et des jours de solitude sur le seuil intangible du doute, dans la détresse des échappements et l’exaltation d’une émotion capturée étaient de l’amour à l’état brut. Mais qui le savait ? Les lecteurs ? Les éditeurs ? Quelquefois sans doute...

Est-ce qu’il s’agissait d’amour d’ailleurs ou d’un égoïste désir d’amour ? Qu’ainsi que le héros du livre Le parfum, elle finira dévorée au fond d’une banlieue grise. Avalée par amour. De la même façon qu’on prend le corps du Christ avec l’hostie sur la langue, en faisant attention de ne pas la croquer.

L’horloge de l’ordinateur affichait seize heures.

Elle s’était installée devant l’ordinateur à neuf heures et il était quatre heures de l’après-midi ! La relativité du temps n’était pas une pirouette de mathématicien, mais une évidence qui la rattrapait constamment.

Sept heures à écrire et elle n’en était qu’aux prémices d’un roman dont elle maîtrisait pourtant l’histoire. Parfois elle regrettait de n’avoir pas de lien direct entre son cerveau et la page affichée sur l’écran.

Un émetteur-récepteur pour capturer ses pensées au fur et à mesure qu’elles arriveraient pour qu’elles ne s’envolent pas et se fixent, claires et ordonnées.

Enfin, parfois seulement.

En réalité, elle aimait la confrontation à cette drôle de machine qu’elle avait dans la tête, sûrement semblable en cela aux six milliards d’individus sur la terre qu’elle imaginait jouant aux échecs avec l’univers, chacun d’eux étant un sous-ensemble d’un ensemble concentré sur un unique pion.

Mais qui ou quoi était le pion ?

Lorsque Laura arrivait à ce genre de réflexion, elle mangeait du chocolat ou buvait du vin, histoire d’aérer ses neurones.

Elle anticipa du goût du champagne dans sa gorge en pensant à tous les noms donnés aux artistes par un genre humain incapable d’envol. Des albatros démâtés et pour toujours à terre, qui par reptation s’accaparaient le monde sans en avoir la démesure ou le génie. Mais la reptation à ce degré-là était peut-être du génie ? De la même façon que le temps qu’elle croyait lui avoir échappé n’était pas perdu, mais nécessaire à la meilleure exploitation de la pensée ? Pareil aux mois d’attente qui construisent les bébés ?

La relativité du temps, elle, était bien réelle, et quatre heures de l’après-midi la meilleure heure pour aller nager.

Laura sauvegarda son texte sans se résoudre pourtant à éteindre l’écran qu’elle mit en veille pour y accéder dans l’instant si elle le souhaitait. L’éteindre pouvait rompre le lien avec sa pensée, définitivement effacée par le noir et perdue avec l’émotion qu’elle y aurait consacrée. Irrécupérable ou autrement. Différente de toutes les façons.

L’obscurité, l’avalement, la perte...

Des peurs qui ne lui permettaient pas d’éteindre simplement son ordinateur, qu’elle laissa donc allumé tandis que fraîche de la maison elle entrait dans l’air brûlant du dehors, inversant pour quelques secondes les habituelles données des températures.

Voilà. Tout ça pour dire « la grâce » ; que si l’amour ne nous sauve pas, l’art le pourra peut-être…

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