Les femmes du hammam ont des rêves à ne plus dormir sans vous.
08/03/2010
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C’est la journée des femmes.
Mais une fois retournés au silence de la 25e heure, vous n’aurez toujours pas Messieurs, approché le monde des femmes.
Ce vaste et inquiétant « continent inconnu » que vous aimez par goût, et détruisez par peur d’une addiction qui vous rendrait « irrésistants », sans volonté et sans force ainsi que Samson avec Dalila, alors qu’il vous semble avoir encore tant de batailles à gagner, de territoires à conquérir…
Comme au théâtre, je vais donc soulever pour vous, un petit bout du rideau de ces endroits qui vous sont interdits.
Ces lieux des femmes où la nudité se dévoile, où la densité de la chair, chaude dans les vapeurs d’eucalyptus, exhale des odeurs épicées et d’huiles d’amandes douces, d’eau de roses et parfois de jasmin.
Des lieux où les rires et les pleurs, les cris, les bisous, les frôlements et les touchers, les futilités, les légèretés et les gravités s’épanouissent en sonates et tendres sonatines, mais aussi en d’amples opéras dont la force dans l’air surchauffé claironne que nous sommes ici entre nous et en sécurité. Que nous ne souffrirons de rien.
Ni viols, ni coups, ni cris.
La sécurité nous la générons en un élan commun. Chacune ici la porte pour l’autre, et tandis que son chant généreux monte dans l’air embué de vapeurs odorantes, au creux de nos ventres et nos cuisses, sous la masse des cheveux relevés, dans l’ombre gracieuse des cous et des oreilles, bercés et vivifiés par cette musique aux accents de révolution, nos corps déshabillés, libres enfin et sans peur, se déplacent et jouent, se frôlent et se parlent, rient sans pudeur et s’aiment, fraternels et amoureux, solidaires, dans l’ombre chaude et douce, apaisante et complice que le hammam nous offre.
Il y a dans les hammams des chuchotements inspirés et des mots à demi mot qui s’échappent et s’envolent, caressent. Pépiements d’oiseaux, chorale de l’indicible et de la provocation, dont le chant contradictoire explore pour toutes, des mondes inédits.
La première fois que je suis allée dans un hammam, adolescente et fragile au milieu des femmes confirmées, je me souviens d’avoir erré de pièce en pièce, perdant mon souffle dans l’air surchauffé, sans repère bousculant des ombres lourdes et qui me faisaient peur. Et puis on m’a attrapée par la main et amenée dans un endroit plus frais, enfin moins chaud et respirable, là où les femmes se reposent après la chaleur.
Vous n’imaginez pas ce que j’y découvris et à quoi j’abordai. Ou alors peut-être dans ces rêves érotiques qui parfois vous surprennent, et que mon destin de future femme m’offrait là, naturellement.
Assise sur les « azulejos » j’entrevis pour la première fois le troublant tableau des femmes qui s’abandonnent, quand hors du regard des hommes, elles s’autorisent la joie et l’ineffable, la douceur du lien et le goût de l’autre. Qui là n’est plus l’autre, mais soi et toutes les autres.
La vision d’une femme multiple dont ni les poètes ni les peintres n’avaient su saisir l’infinie complexité, les dualités et les paradoxes, les fragilités et les forces. La beauté. L’exubérante beauté de femmes qui de l’opulence au gracile et du babillage au désespoir, passaient dans l’instant de la gravité à la légèreté, des rires éclatants à l’amertume des larmes.
Le monde des femmes n’est pas ce vaste continent inconnu dont Courbet limita le territoire. Il est fait d’univers, de rêves et de désirs que les femmes portent comme autant de vie à offrir et d’enfants à naître.
Des rêves d’amour pour des hommes qu’elles aiment, pour ceux qu’elles aimeront, pour tous les Salomon, Tristan et Roméo et tous les princes charmants d’histoires à ne plus dormir sans vous.
C’est donc pour vous, qui êtes eux et tous à la fois, qu’elles deviennent dans les hammams, belles parmi les belles et qu’ainsi que Shéhérazade et Belle du Seigneur, elles se parfument et se coiffent, se fardent et se maquillent. Juste pour vous.