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De Milgram aux tortues des Seychelles...

18/03/2010

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Christophe Nick, au travers d'un film retransmis sur France 2 hier au soir, reprend l'expérience de Stanley Milgram, mais revisitée sous le prisme de « la télévision » pour cerner au plus près le danger inhérent à son utilisation extrême dans ce que l'on appelle communément la télé-réalité.

Hier soir et en direct, 81 personnes sur 100 ont tué un de leur semblable, seulement parce qu'une autorité leur en a donné l'ordre et l'injonction.

 

C'était effrayant et cela m'a ramenée, évidemment, à cette angoisse éprouvée en regardant le lancement de « La ferme réalité », dont j'avais fait une chronique intitulée « Meurtre en direct sur TF1 », mais aussi lorsque j'ai essayé de parler de procédé et d'éthique de l'information pour F.A, dont la déontologie semblait floue, et ce, malgré les bonnes intentions annoncées (ce que d'autres médias ont d'ailleurs soulevé).

Où se situent la ligne infranchissable et ce que l'on doit s'interdire ou interdire ? A quel moment le voyeurisme prend le pas sur le professionnalisme ? Mais surtout comment endiguer le consensus parfois mortel qui peut en découler ?

Le plus grave en fait, celui qui fait marcher les populations dans le sens désiré par une petite minorité manipulatrice. Celui qui transforme des personnes gentilles en bourreaux sans conscience. Celui qui englue toute volonté personnelle dans un collectif fédéré et meurtrier.

Face à ce danger aujourd'hui bien en place, il est impératif de redécouvrir du sens critique et une pensée claire et dégagée, distante de soi pour mieux appréhender ce qui entoure, ce qui se fait et se vit. On peut avoir tort ou raison contre tout le monde, on peut même se tromper, mais ce qui importe c'est d'être un individu réellement libre de sa pensée, et j'ajouterai, capable d'insoumission, de rébellion, et de transgression de la loi quand cette loi est inique et injuste. Inhumaine.

Hier soir 19 personnes sur 100 ont été capables de dire « non ». Non à la torture, non aux sévices, non et encore non malgré les injonctions à continuer. Alors, c'est vrai que c'est peu 19 sur 100, mais quand même, c'est réconfortant de voir et d'entendre qu'au milieu des guerres et des batailles, des exactions du monde et de médias maintenant investis d'autorité planétaire, des personnes ont la force de s'opposer à des ordres ; que des voix savent s'élever pour arrêter les souffrances et inverser les processus ; que « des justes » sont encore porteurs d'une humanité fraternelle.

D'autant plus que revenue depuis peu d'un séjour à l'étranger, j'ai découvert là-bas, dans un monde qu'on dit de lumière, les Seychelles pour les nommer, un monde semblable au nôtre, moitié loup, moitié coccinelle.

Les albatros, des milliers sur l'île aux oiseaux, y mangent des fleurs d'arbres dont l'île est constituée. Hélas ils s'engluent les pattes à la colle qu'elles secrètent et dans les mouvements qu'ils font pour s'en débarrasser, gênés par leurs grandes ailes, ils tombent des rochers dans la mer où les requins attendent.

Récemment un touriste qui filmait dans des eaux peu profondes, à hauteur de cuisses, est mort sous le dard d'une petite raie apeurée. Une sorte de lance pointue que les raies ont sur l'arrière, qui pénètre les corps et ne peut se retirer sauf en laissant les côtés du fer de lance qui s'effrite et se disperse de la même façon que certaines bombes explosives que les hommes ont su concevoir.

La petite raie a sauté hors de l'eau et est retombée sur la poitrine de l'homme, lui plantant son dard en plein coeur, ou presque.

Un autre touriste qui filmait lui aussi s'est approché de deux énormes tortues. Le mâle qui fécondait une femelle s'est détaché d'elle et a lancé sa patte sur l'homme qui peu à l'aise dans l'eau, a basculé sans pouvoir se défaire des griffes qui entraient dans sa chair. Le mâle tortue est alors monté sur l'homme et en le recouvrant de tout son corps l'a enfoncé dans l'eau jusqu'à ce qu'il meure.

Sur une autre île, un bâtiment bien entretenu en souvenir des lépreux qui vivaient là, il n'y a pas si longtemps. « Des lépreux enterrés vivant lorsque les plaies devenaient trop importantes » m'a raconté le skipper du bateau avant d'enchaîner sur l'histoire de son grand-oncle qui fut empoisonné parce que sa différence physique, 2m10, le rendait « diabolique » pour les gens du village.

Mais, j'ai aussi nagé dans des eaux bleues avec des centaines de poissons de toutes les couleurs qui flânaient autour de moi, sans peur, harmonieux et tranquilles, certains de leur beauté. De cette beauté colorée que nous dessinent si joliment les petits-enfants qui portent encore en eux la trace de ce qui fut et qui nous l'offre sur des feuilles de papier que nous gardons dans des tiroirs avec l'idée de leur redonner un jour, quand ils auront à leur tour tout oublié, et dont nous ne retiendrons nous, que l'aptitude au dessin, l'imagination, un signe d'intelligence précoce...

Et puis surtout, j'ai caressé la tête et le cou fripé jusque sous la coque préhistorique, de tortues qui ont tendu vers moi leurs yeux sans doute aveugles, penchant le cou pour le contact et un lien que je n'imaginais pas possible. Des tortues qui ronronnaient comme des chats, d'un son assourdi et régulier sous ma main, et qui m'ont suivie, lourdement maladroites sur leurs pattes parcheminées alors que je m'éloignais.

Comment dire sans le réduire ce fil tendu entre ces choses énormes venues d'un autre temps, ces indéfinies mutantes, et moi dans aujourd'hui ?

C'est comme si j'avais rencontré mon arrière, arrière, arrière-grand-mère dans un monde cruel où la sauvagerie tient lieu de survie et de pérennité. Un monde toujours un peu dans la dévoration, exactement semblable au nôtre qui porte en lui le pire, ce que démontrait le film de ChristopheNick, mais le meilleur aussi, avec ce que nous deviendrons lorsque plus sages et plus sereins sur une terre dont l'économie aura su répartir également les richesses et les biens, la nourriture et l'eau, sans plus de nécessité d'avoir à survivre et sûrs de notre pérennité, nous saurons enfin seulement vivre...

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