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Journées internationales où le syndrome de Cendrillon

26/11/2009

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- Circulez, y a rien à voir ! Plus rien à dire, à commenter, à revendiquer. Dégagez du chemin. La planète n'attend pas.

- S'il vous plaît, on allait me donner du pain, soigner mon enfant, panser mes plaies...

- Au suivant ! Chacun son tour. L'égoïsme à ce point-là, c'est pas croyable ! Vous savez que tout le monde a droit au bonheur ? C'est immoral de resquiller !

Non mais, a conclu la planète en mordant dans son sandwich, si on faisait pas attention y en a plein qui prendraient tout pour eux.

Alors la misère est repartie, miséreuse avec ses bleus et ses bosses, ses fractures. Affamée. Violentée. Rompue. Est repartie jusqu'à l'année prochaine où une fois encore elle sera sûre d'être sauvée des maux qui la tuent. À cause de la foi. La foi, c'est ça qui la sauve. Une foi incommensurable dans la bonté des hommes, sinon, il y a longtemps qu'elle se serait flinguée. Et vous savez ce que ça fait la misère quand ça meurt, ça ne disparaît pas, ça se répand, ça s'étend et ça prend toute la place.

La foi, vraiment, ça permet de mieux vivre.

Mais la foi en quoi ?

J'ai été « une enfant différente », mais la foi de mon père en moi m'a permis de sortir du silence sans en perdre les bienfaits, alors quand j'entends l'assourdissant vacarme qui entoure les journées internationales, j'ai mal aux oreilles, j'ai mal à la chair, j'ai mal à la terre...

Hier c'était la journée de la violence faite aux femmes, demain ce sera celle des bébés phoques, du diabète, de la faim dans le monde, et il en sera ainsi pour les 365 jours de l'année de façon à rappeler à chacun que « ça » existe.

Une conscience collective éphémère qui passée la 24ème heure oubliera l'émotion et la révolte du jour pour s'intéresser à la suivante, qui passera elle aussi aux oubliettes de l'histoire. En 24 heures.

24 heures pour dire que là-bas ou ici, la terre tremble de faim et de froid, qu'on y tue et qu'on meure par milliers à chaque seconde.

24 heures pour pleurer.

24 heures pour partager.

24 heures surtout pour se dédouaner.

24 heures d'intérêt pour des causes qui ainsi que Cendrillon, replongeront dans l'oubli, à la 25ème heure.

Les hommes croient se mobiliser et changer le cours des choses sous le prétexte « d'une journée porte ouverte » alors qu'ils ne font que « bavarder et bavasser » dans une monstrueuse cacophonie où s'entendre n'est plus possible. Où personne n'écoute personne.

Seulement du bruit et du vacarme.

Un vacarme tonitruant où se perdent les voix et les plaintes de ceux qui pendant 24 heures imaginent être entendus.

- Mais vous me faites quoi là ? De quoi vous me parlez ? J'ai du travail moi. Vous vous rendez pas compte. Hier c'était une chose, demain une autre...

Elle a dit ça en finissant son sandwich, assise sur son gros derrière planétaire. Je l'ai regardée en me demandant comment faire face avec mes 48 kg et puis... Et puis j'ai repensé au meilleur des mondes. Vous vous souvenez ?

Il y en a toujours un différent et pas conforme. Un petit grain pas bien germé et toujours prêt à recommencer, librement, à la vitesse et avec le temps qu'il faut pour que les choses éclosent, poussent et maturent.

Le problème c'est le temps. Alors que nous courons après l'immortalité et que le désir de Faust est à portée de science, nous ne savons pas nous écarter de ce temps qui passe et que nous mettons en carte comme l'identité et les fiches d'état civil. Nous aspirons à l'intemporalité et nous figeons le temps dans le temps. Nous le rigidifions.

24 heures pour les journées internationales.

A la 25ème heure comme Cendrillon, si ce n'est pas leur jour, les femmes battues et les enfants exploités ne seront plus au centre de nos vies. Les guerres et les famines perdureront sans autre débat collectif, avant l'année prochaine. 8760 heures à attendre...

- C'est quoi le problème là ? On peut pas déjeuner tranquille ?

La planète a fini son sandwich sans laisser une seule miette, et j'ai comme un truc qui me ravage l'estomac.

- Allez, circulez, prenez votre tour, non mais, y en a vraiment ils se prennent pour qui !

- Ben justement je voulais vous dire...

Elle m'a regardée comme l'empêcheuse d'humaniser en rond et j'en ai appelé à Ubu, Kafka, Raspoutine et Jésus, qui n'ont pas bougé le petit doigt. C'était la 25ème heure sur la terre comme au ciel.

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